Lumières chromatiques...
Chromatique numérique...

de Bernard CAILLAUD


 

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Les dissertations sur la couleur abondent, et ce dans tous les champs disciplinaires ; celles sur la lumière sont sans doute plus limitées en nombre sauf quand il s'agit de la fameuse et hypothétique lumière blanche... Nous voudrions ici rappeler quelques évidences et nous interroger sur les niveaux de réalité de la couleur dans une perspective artistique en liaison avec la création numérique et la perception esthétique.

Nous ferons d'abord quelques rappels et mises au point sur le phénomène couleur et sur les lumières chromatiques puis, dans une première partie, sur les diverses façons d'aborder et de décrire cette couleur sans oublier la psychophysique associée. La couleur numérique, qui s'impose à la fin des années 1970 sur les ordinateurs personnels, ainsi que la notion d'hyperlumière, serviront de passage vers la troisième partie. La question la plus importante est bien, alors, celle des ensembles de couleurs ce qui nous conduira à poser les bases expérimentales d'une chromatique numérique, dont les assises théoriques sont encore bien fragiles, mais qui devrait directement concerner l'artiste.

APPARITION DE LA COULEUR

La couleur est une perception, donc une information qui semble prendre "existence" dans le cerveau, mais dont les modalités d'apparition sont décrites comme semblant se situer à des niveaux d'excitation divers. On a ainsi longtemps distingué, et notamment Goethe, la couleur physiologique, la couleur physique et la couleur chimique (1).

La première, parfois nommée couleur accidentelle ou couleur subjective, concerne d'abord le cas d'une excitation non lumineuse (excitation mécanique ou chimique) qui conduit bien à une perception chromatique, puis celui d'une excitation lumineuse achromatique qui provoque à nouveau une perception chromatique. Ces divers cas étaient qualifiés de subjectifs car on restait persuadé que la couleur était bien normalement extérieure au système oeil-cerveau.

Elle concerne, par ailleurs, le cas d'une excitation visuelle colorée qui provoque une perception chromatique différente de celle correspondant à l'excitation et qu'on a souvent, de ce fait, nommée illusion colorée.

La seconde est ainsi définie par Goethe : "nous appelons couleurs physiques celles dont la production exige l'intervention de certains milieux matériels, en soi incolores, mais qui peuvent être transparents ou en partie troubles et translucides, ou, enfin, entièrement opaques" (1). On désigne donc l'ensemble des phénomènes physiques qui, par interaction d'une lumière incidente avec des milieux matériels "non colorés", donnent à voir une lumière colorée. Il s'agit au moins de la diffraction, de la réfraction, des interférences, de la polarisation...

La troisième concerne les couleurs de surface (les couleurs des choses..) et laisse croire que le monde extérieur est doué de qualités chromatiques dont on fait porter la responsabilité descriptive à la chimie (par référence à son discours sur les peintures et les pigments... ), alors qu'il faudrait surtout évoquer des phénomènes physiques tels que l'absorption sélective lumineuse et la diffusion par les milieux recevant la lumière incidente.

La quatrième, qui n'est pas (et pour cause) examinée par Goethe, concerne la couleur écran, c'est-à-dire celle qui apparaît sur un moniteur quand l'énergie associée à un flux d'électrons est transformée de façon trivariante en lumière colorée. Nous reviendrons sur ce dernier mode d'apparition de la couleur.

LUMIERES CHROMATIQUES

Persuadé que le seul support d'un discours sur la lumière est un modèle physique, on pourra choisir entre les modèles ondulatoire, corpusculaire ou probabiliste; le second semble suffisamment pertinent pour parler de la couleur dans le cadre de cet article et nous admettrons donc cette hypothèse de travail.

Le photon sera alors un porteur d'énergie (sans dimension ?) de masse nulle au repos (ce qui pourrait poser la question d'un référentiel), caractérisé par sa vitesse (celle de la lumière!), son quantum d'énergie et sa longueur d'onde, liés par la relation bien connue :

E=hc/l

E : quantum d'énergie

h : constante universelle (de Max Planck)

c : célérité du photon

l : longueur d'onde de l'onde associée (dans le modèle ondulatoire).

Nous admettrons, avec Pierre Léna, que les photons se manifestent uniquement au moment de leur interaction avec la matière mais jamais avec d'autres photons. : "Un photon n'interfére jamais avec un autre photon : deux faisceaux de lumière se croisent dans le vide sans aucune interaction" (2) .

Une lumière sera alors un flux de photons, soit tous de même catégorie (même l : lumière simple ou pure), soit de catégories différentes ( longueurs d'onde différentes : lumière colorée complexe). Elle pourra donc être représentée par son spectre qui indique, longueur d'onde par longueur d'onde, l'abondance énergétique par unité de temps de chaque catégorie de photons.

La lumière achromatique ( lumière blanche) est alors composée de toutes les l accessibles à l' oeil ( de 0,4 à 0,78 m m environ), toutes les catégories de photons correspondantes ayant la même abondance énergétique relative (voir figure 1)

première partie

REGARDS SUR LA COULEUR

Pour payer tribut aux "visions classiques", on peut rapidement survoler certaines des principales façons d'aborder la couleur.

Couleur nommée

Le rouge, le bleu, le vert...il y aurait ainsi des couleurs en soi, impossibles à définir même, à mon sens, en se prêtant aux " jeux de langage" de Wittgenstein (3) qui écrit lui-même : "si l'on nous demande : "Que signifient les mots rouge, jaune, noir, blanc ?", nous pouvons bien entendu montrer immédiatement des choses qui ont de telles couleurs, mais la capacité à expliquer la signification de ces mots ne va pas plus loin ".

Couleur adjectivée

Les adjectifs abondent : pâle, claire, franche, lavée, affadie, rompue, lumineuse, éclatante, intense, pure, fraîche, pleine, saturée, vive, rutilante, opaque, grisée, neutralisée, terne, amortie, moyenne, éteinte, rembrunie, rabattue, sombre, sourde, foncée...Ce luxe dans le vocabulaire d'une langue est-il redondant ? Peut-il se justifier dans des jeux de langage? Est-il pertinent pour désigner avec précision une couleur nommée?

Couleur repérée

On compare ici un échantillon matériel à une table de couleurs ou plus largement à un atlas (4) ; la plupart d'entre eux sont consacrés à un sous-ensemble chromatique (celui des plantes, celui des roches, celmui des fleurs...etc...) . Les questions restent toujours celle de la conservation des valeurs colorées (un certain nombre de tables sont, maintenant, importées sur ordinateur...) et celle de la définition de l'éclairage au moment du repérage.

Couleur synthétisée

On connaît les modes théoriques, basés sur la trivariance visuelle (voir ci-dessus), qui à partir de trois lumières colorées de base ( ou primaires) permettent de synthétiser une certaine lumière colorée (ce fait permet de fonder la colorimétrie physique) en jouant sur les quantités relatives de chacune des trois primaires. Ces trois primaires sont respectivement choisies dans le domaine des faibles longueurs d'onde visibles (auxquelles correspondent des photons de forte énergie), dans celui des moyennes longueurs d'onde visibles (auxquelles correspondent des photons de moyenne énergie) et dans celui des hautes longueurs d'onde visibles (auxquelles correspondent des photons de faible énergie). Citons le mélange additif, le mélange soustractif, le mélange optique et le mélange mixte. On lit parfois dans des manuels imprudents que grâce aux trois primaires (le rouge, le vert et le bleu dans le cas du mélange additif) on peut synthétiser les autres couleurs (ou mieux toutes les autres nuances colorées..). Il serait plus juste de dire que l'on peut synthétiser un sous-ensemble de l'espace chromatique (mais cette remarque poserait la question de la définition d'un espace chromatique, ce qui n'est pas une mince affaire (4)). Ce sous-ensemble serait limité par les trois primaires ( qui peuvent être simples ou complexes) et la résultante achromatique (soit blanche, soit noire).

Couleur mesurée

On aborde ici le domaine de la colorimétrie physique qui permet de déterminer l'équivalence visuelle, par égalisation des luminances lumineuses, entre un mélange additif de trois lumières primaires et la lumière étudiée. Il conduit à déterminer une mesure du stimulus coloré étudié fondée sur les proportions des trois primaires à partir de l'équation :

L= LR+ LV+ LB avec

L luminance de la lumière étudiée

LR luminance de la lumière primaire rouge

LV luminance de la lumière primaire verte

LB luminance de la lumière primaire bleue

On construit alors un espace à trois dimensions qui depuis le début des années trente a été maintes fois anamorphosé pour mieux tenir compte des réponses de l'oeil et notamment de ses seuils de discernabilité. Ces notions sont finement étudiées depuis un siècle et restent les fondements de tout discours sur la couleur.
Les références suivantes sur le sujet me semblent, en langue française, les plus pertinentes : (5)-(6)-(7)-(8)-(9)-(10)-(11).

Couleur reproduite

Que la méthode soit analogique ou numérique, les images des "choses du monde" ont tendance à se répliquer à grande vitesse (12) et la discussion est toujours vive de l'adéquation de la couleur à son modèle. Comme on oublie le plus souvent la qualité de l'éclairage, la question reste sans cesse ouverte....

Couleur et son

Depuis au moins Newton et "ses" sept couleurs du spectre mises allègrement en relation avec les sept degrés de la gamme occidentale, une vaste littérature s'est acharnée à trouver des correspondances (parfois "savantes") entre les sons et les couleurs. Ce désir de trouver une unité entre les perceptions sensorielles est sûrement louable mais est fort peu soutenu par les éléments de théorie qui tentent de justifier l'apparition de ces perceptions. On pourra cependant rappeler qu'en première approximation la perception sonore est trivariante (fréquence, intensité sonore, temps) comme la perception chromatique, ce qui peut constituer une direction de recherche (voir ci-dessous).

Cette énumération n'est certes pas exhaustive : on pourrait vouloir cerner la couleur sur d'autres fronts...

REGARDS SUR LES COULEURS

La couleur apparaît rarement solitaire : le spectacle du monde et les artefacts des artistes sont rarement monochromes. Il faut donc à ce stade se pencher sur ces ensembles colorés (ou plutôt sur ces émetteurs polychromes) et sur les travaux qui leur ont été consacrés.

Les écrits des peintres

Au départ, il y a les expérimentateurs, qui s'expriment parfois sur leur travail, les peintres. Ils concrétisent, en nombre limité, des éléments d'un espace imaginaire, infini, voué aux associations des surfaces colorées. Ces éléments sont, pour la plupart, plongés dans le même temps, dans " l'espace de l'icône ", qui reste souvent plus prégnante que la couleur elle-même ; les autres participent, à des degrés divers (et parfois en compétition avec les premiers), d'un domaine plus vaste que certains ne pouvaient, parfois, s' empêcher d'appeler : " le décoratif".

La peinture dite à une époque abstraite, qui repose des questions sur l'image, ou plutôt sur l'objet de l'image et donc sur les images sans objet, inaugure, à travers les oeuvres et les écrits de certains de ses pionniers, une attitude plus radicale qui consiste à traiter la couleur pour elle-même...

Les contrastes

Certains étudieront avec soin les relations de voisinage entre surfaces supposées "porter la couleur". En effet si on peut caractériser avec une grande précision une lumière colorée (ou une surface colorée) et la pointer dans un ensemble de référence, on hésite bien plus à décrire les délicats rapports (qui ne se résument pas à des distances...) entre deux ou a fortiori plusieurs stimuli chromatiques.

Ces rapports peuvent s'établir dans le temps ou dans l'espace et le plus souvent dans le temps et l'espace ( dans le cas des images animées ou plus simplement de l'exploration d'une surface diversement colorée).

Des questions de base ont été posées, au cours du temps, à propos de la juxtaposition de deux surfaces colorées, qui trouvaient leur expression dans les contrastes, au sens des phénomènes engendrant des couleurs accidentelles (comme on l'a rappelé) mais aussi au sens de l'expresssion des distinctions entre deux surfaces. Rappelons succinctement pour

mémoire :

Le contraste de teinte (ou de la couleur en soi)
Le contraste de clarté (ou de clair-obscur) Le contraste de qualité (ou de pureté, ou de saturation) liés aux trois paramètres définissant une couleur

Le contraste de quantité lié au flux lumineux transporté par la lumière ou plus simplement, parfois, à la surface occupée par la couleur

Le contraste proche-lointain et le contraste chaud-froid décrits en termes de psychologie de la vision.

On ne semble pas avoir poussé beaucoup plus loin (donc au-delà de deux ou trois) l'étude de la juxtaposition des surfaces colorées et il faudra attendre certaines publications récentes pour, à travers une typologie des ensembles colorés, poser la question d'une impression globale qui serait irréductible à celles des différentes parties composantes...

Les systèmes d'ordonnancement

Parallèlement, des chercheurs de toutes disciplines (y compris des peintres) s'efforcent de classer les diverses unités chromatiques et proposent des modèles, souvent en trois dimensions, qui, par leur géométrie simple (sphère, pyramide, cône, double-cône... ), restent, en pratique, faussement satisfaisants (13) .

Des physiciens, qui travaillent directement sur les lumières colorées, proposent depuis le début du XIXe siècle environ (Young, Helmholtz, Maxwell... ) des théories de la vision des couleurs basées sur la trivariance visuelle et leurs travaux, établis sur la synthèse additive, diffusent progressivement dans les tentatives de systématisation des chercheurs évoqués ci-dessus. La colorimétrie, qui trouve ses premières assises dans les travaux de Newton, conduit finalement, à travers le diagramme de la CIE, à un espace de dimension trois qui peut sembler l'expression mathématisée des modèles de "solide des couleurs" dont se servent, avec rigueur, Luther et Nyberg dès 1928 : la solution à laquelle ils aboutissent n'est pas géométriquement simple et les cubes, sphères, et autres doubles pyramides resteront en faveur après eux à travers des travaux qui se veulent pourtant tournés vers les applications (coloristes, designers, peintres, informaticiens... ) et qui sont en fait des abrégés de " philosophie élémentaire " où le plus vrai devrait être le plus mathématiquement simple.

L'harmonie des couleurs

Dans le même temps, des enseignants, parfois peintres, s'appuyant sur les notions de contrastes, font croire à une " grammaire " ou à une " harmonie" des couleurs grâce auxquelles on pourrait composer sur des bases sûres.

Là encore, il faudra attendre les progrès apportés par la colorimétrie pour voir s'affiner les notions mais le discours reste souvent pseudo-scientifique et en 1975 un auteur propose un exposé sur les surfaces colorées en laissant croire que différentes surfaces, à leur maximum de saturation, ont une pureté identique, ce qui ramène au "bon et célèbre" cercle chromatique qui fleurit toujours dans nos écoles et qui appelle quelques remarques (14).

La symbolique

Il faudrait peut-être encore évoquer une symbolique de la couleur, constat le plus souvent socio-historique, et quelques éléments d'une psychologie de la couleur qui n'apportent pas, à mon sens, de données essentielles sur la question.
La psychologie expérimentale, issue pour une part de la psycho-physique (15), mise en place dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, apporte quant à elle une contribution importante dans l'étude des illusions et des couleurs subjectives.

La neurophysiologie

On doit également citer, dans cet inventaire des discours, les ouvrages et publications spécialisés de neuro-physiologie de la vision qui, partant de la rétine, progressent de mieux en mieux vers le cerveau et affinent les travaux des psycho-physiologistes en retrouvant parfois à côté du modèle de la trivariance visuelle celui des couples jaune-bleu et vert-rouge de l'école allemande.

La vision artificielle

Dans un proche avenir, il est également possible que les spécialistes en vision artificielle proposent des modèles utilisables dans la perception de la couleur comme cela se produit déjà pour la perception de la forme.

Les disciplines sont ainsi multiples qui jettent un regard sur la couleur mais il n'existe assurément pas, pour cette dernière, l'équivalent d'une acoustique musicale que l'on pourrait nommer "chromatique picturale" et qui traiterait de la perception des ensembles de couleurs dans l' optique du peintre. On citera cependant les travaux de Michel Albert Vanel sur les ensembles colorés (16).

RAPPELS DE PSYCHO-PHYSIQUE CHROMATIQUE

La psycho-physique chromatique explore les liens existant entre une information physique (excitation lumineuse en entrée du système oculaire) et la réponse chromatique donnée par le cerveau qui est lui-même soumis à une information électrique résultat d'une transduction effectuée par les rétines.

Cette définition implique qu'il existe une relation entre les porteurs de lumière (les photons) incidents et la dimension couleur de la perception.

Le principe de trivariance visuelle implique, par ailleurs, que trois données sont, au maximum, nécessaires pour spécifier une perception colorée (voir ci-dessus : couleur mesurée).

Il faut corréler ces deux assertions si on prétend que la lumière, comme ensemble de photons, est le médium de cette perception colorée.

Si une lumière complexe (voir ci-dessus : lumières chromatiques) est composée de X catégories de photons, on aura X valeurs de l, X valeurs de E et X valeurs indiquant le nombre de photons N dans chaque catégorie soit 3X données et non trois ; pour une lumière simple (composée de 1 catégorie de photons), on aura 1 valeur de l , 1 valeur de E et l'indication du nombre de photons dans la catégorie, soit 3 valeurs .
Ce calcul est cependant faux puisque E et
l ne sont pas des variables indépendantes (voir la formule de définition du photon) : on a réellement 2X données (ou 2 données) et non 3X (ou 3)!

La psycho-physique chromatique va reprendre la question en caractérisant une lumière simple par sa longueur d'onde et par sa luminance énergétique dans une direction spécifiée qui est directement liée à E et à N. Cette luminance énergétique, corrigée de la courbe de réponse de l'oeil, deviendra la luminance lumineuse Ll associée à la lumière simple prise en compte qui sera donc encore bien caractérisée par deux données Ll et l , ce qui ne change rien à la situation précédente mais permet de bien séparer la donnée quantitative Ll et la donnée qualitative l qui renvoie à une impression chromatique.

Dans le cas d'une lumière complexe (donc composée d'un certain nombre de catégories de photons définies par les couples (Ll 1,l 1) (Ll2, l 2) (Ll 3, l 3) (Ll 4, l 4)...etc. on pourra admettre que la donnée quantitative (luminance lumineuse) est additive soit :

L= Ll 1+ Ll 2+ Ll 3+ Ll 4+...= S (Ll i)
On se refusera, en revanche, à additionner les différentes longueurs d'onde ( on sortirait rapidement du visible!) : on sait qu'une superposition de lumières colorées donnera au mieux une lumière colorée donc caractérisée, pour l'oeil, par une longueur d'onde et une seule (sa longueur d'onde dominante : voir ci-dessous).

On vérifie alors expérimentalement qu'il y a identité visuelle entre la lumière ci-dessus (L= S (Ll i)) et un mélange additif d'une lumière simple de luminance Lld (et de longueur d'onde ld) et d'une lumière blanche de luminance Lw,
ce qui s'écrit :

L= Ll 1+ Ll 2+ Ll 3+ Ll 4+...= S (Ll i) = Lld + Lw .

Une lumière colorée est donc maintenant caractérisée, au sens de la perception visuelle, par trois données : Lld , Lw et ld.

C'est une façon de formuler le principe de la trivariance visuelle. La longueur d'onde, nommée ci-dessus ld, est dite longueur d'onde dominante de la lumière chromatique envisagée.

Une lumière colorée est finalement définie par sa luminance lumineuse (L), sa teinte(directement liée à ld) et sa pureté p (quotient de la luminance lumineuse liée à ld - notée Lld - par la luminance lumineuse totale - notée L - soit p = Ll / L).

Nous avons volontairement passé sous silence la question des pourpres qui demanderait une redéfinition de la longueur d'onde dominante (pour laquelle on fait appel à la longueur d'onde dominante de la couleur complémentaire).

Cette discussion, qui montre le délicat passage entre le "domaine extérieur" de la physique et le "domaine intérieur" de la perception dominé par la trivariance visuelle, affirme de surcroît que la couleur n'est liée au monde réel que par la lumière entrant dans l'oeil d'un observateur, même si les relations longueur d'onde-couleur ne sont pas rigoureusement simples (17).
Les conséquences ne se font pas attendre.

-Si on parle de couleur, on ne peut parler que de lumière (sauf dans la "première apparition de la couleur", telle qu'elle est mentionnée ci-dessus), donc de lumières chromatiques.

-Seules peuvent être qualifiées de colorées ( par un abus de langage mineur) les sources primaires (telle une source laser ou une lampe à vapeur de Sodium).

-Les sources secondaires, donc les objets du monde, n' ont pas de couleur propre puisqu' elles sont strictement dépendantes de leur éclairage.

-Les "choses du monde" ont ainsi perdu les couleurs qu'elles n'ont jamais possédées et un bon nombre d'écrits sur la couleur devient de ce fait obsolète.

Forte de ces bases, la psycho-physique va pouvoir construire des tests précis pour "interroger l'oeil-cerveau", définir ses performances chromatiques et, dans le cadre de la neuro-physiologie, s'intéresser au système visuel et à ses anomalies chromato-perceptives.

deuxième partie

COULEUR NUMÉRIQUE

L'apparition de lumières colorées en sortie d'un moniteur est, comme on le sait, le résultat d'une synthèse optique réalisée grâce à un triple pavage de luminophores (ou photophores) respectivement dédiés à l'émission des lumières rouge, verte et bleue. Ces derniers, lorsqu'ils sont frappés par un flux d'électrons, réalisent une transduction énergétique qui conduit à l'émission lumineuse émergente. Ce processus est intéressant à plus d'un titre.
-Il dissocie parfaitement l'énergie incidente de l'énergie émergente comme on devrait naturellement le faire quand l'énergie incidente est lumineuse (et non électronique), ce qui éviterait de donner de la couleur aux "choses". Cependant certains persistent à parler des luminophores rouges, verts et bleus comme s'ils possédaient une couleur par eux-mêmes.

-Il montre qu'en l'absence d'énergie électronique l'image écran n'existe pas.

-Il montre donc que l'image n'a aucun support physique rémanent (sauf la place réservée au fichier correspondant gardé en mémoire).

Par ailleurs l'image inscrite sur l'écran est construite (en synthèse optique) sur des primaires particulièrement pures (très voisines donc d'une lumière simple) et donc l'ensemble des nuances possibles sera particulièrement étendu sans atteindre, bien sûr, les fameux 16 millions de couleurs qui sont certes mathématiquement fondés au regard de l'échelle des valeurs inscrites dans le computer mais ridiculement grands par rapport aux seuils différentiels de l' oeil. Au mieux, l'ensemble des nuances effectivement discernables (dans des conditions de test parfaitement définies) par l'oeil est sûrement très inférieur à 500.000, ce qui est déjà conséquent (18).

Enfin la couleur est gardée numériquement en mémoire et donc peut être reproduite identique à elle-même à partir d' un même moniteur (dont le réglage en luminosité n'a pas été modifié)...Le passage à un autre moniteur est par contre très aléatoire (même si on peut intervenir sur le gamma), sauf peut-être si le modèle est rigoureusement identique au premier. Il faudrait de façon générale se munir d'un bon photocolorimètre!.

HYPERLUMIÈRE ET CRÉATION NUMÉRIQUE

La notion d'hyper-lumière ne désigne pas ici, à mon sens , une nouvelle dimension ajoutée à une description élargie de la lumière ( comme on l'entend pour un hyper-cube, un hyper-tore ou un hyper-espace). Il peut s'agir d'un concept émergent en physique contemporaine ( la question mérite peut-être d'être posée) mais je ne prétends pas me placer sur ce terrain.

La notion d'hyper-lumièrere veut, ici, faire référence aux rôles multiples assurés par la lumière dans l'élaboration de l'oeuvre électro-numérique. Cette lumière qui, depuis toujours, était destinée à éclairer l'oeuvre, au cours de son exécution puis lors de sa présentation, se montre à présent suivant des dimensions nouvelles. Vecteur de mise en apparition de l'oeuvre certes, mais plus généralement, auxiliaire de la création (et peut-être finalement oeuvre elle-même), la lumière mérite parfaitement cette extension notionnelle : celle d' hyper-lumière.

Si les conditions d'émergence de cette notion sont souvent partiellement présentes dans l'art du vingtième siècle (cette hyperlumière est effectivement latente dés les débuts de l'image video-au sens large-mais seulement suivant certains aspects et sans volonté, à ma connaissance, de théorisation) cette dernière m'a semblé fortement liée à ma démarche et les propositions suivantes vont tenter de mieux l'expliciter.

Mon travail est une recherche sur la lumière, non pas au sens où cette dernière serait le medium de notre vision par réflexion du monde, mais au sens où elle se révèle construite par une recherche algorithmique, comme lumière primaire issue du computer ou comme lumière émergente filtrée par la membrane photographique.

Première dimension -lumière électronique

Les capacités calculatoires graphiques de l'ordinateur sont d'abord transmises par le tube cathodique. Le faisceau électronique émis délègue son énergie à un train de photons : cette transduction est un point théorique important puisqu'elle souligne, dans le cas de ces techniques, la dimension électronique et informatique de la lumière : ne pourrait-on pas parler ici de pré-lumière?

Seconde dimension - lumière primaire issue du computer

Au même titre, peut-être, que les lumières issues des étoiles nous renseignent sur leur nature élémentaire (au sens de la chimie) par étude spectrale, celle issue de l'écran vidéo nous révèle une réalité algorithmique située en amont.

Il ne s'agit pas encore d'images mais de l'émission simultanée de milliers de pixels phosporescents qui nous informent sur une réalité non-visible, à l'instar des rayonnements électromagnétiques qui nous révèlent les strates cachées du monde.

Ce travail s'affirme donc d'abord comme réflexion sur l'émission et non encore sur le support ou sur l'occupation plastique du support.

Par ailleurs les couleurs ne sont pas, comme on l'a longtemps cru, une propriété des objets du monde ; les couleurs n'existent pas et seul le récepteur, qui sait lire les lumières, suivant sa propre courbe de réponse, construit ces couleurs qui semblent habiter le monde. Cette proposition, non évidente, qui déplace la conscience percevante, devrait induire de nouvelles attitudes dans notre conception du monde.

L'écran, considéré comme support de création, déplace ou plutôt inverse les rapports à l'oeil dans la mesure où ce dernier reçoit, non plus des lumières réfléchies et incontrôlables, mais des lumières chromatiques directement émises par l'écran qui devient ainsi source primaire de la création.

Troisième dimension -lumière optiquement traitée entre écran et photographie

Dans cette seconde transduction (énergie photonique / énergie chimique) qui conduit à un second niveau de l'oeuvre (sur support photographique) la lumière se pare d'une autre dimension. Mais il ne faudrait pas croire que cette dimension est triviale. L'information portée par la lumière peut être ici traitée optiquement par absorption relative, filtration chromatique, réflexions multiples, réfractions, zoom temporel qui transposent l'information initiale et modulent le premier état de l'oeuvre dans des proportions qui peuvent être considérables. Cette dimension n'est pas systématiquement exploitée dans l'ensemble de mon travail.

Quatrième dimension- lumière blanche filtrée par transmission

A partir du moment où l'oeuvre est déplacée de l'écran vers un support transparent dorsalement illuminé (et ce quelle que soit la technique) elle devient le lecteur-créateur du travail et le support se comporte comme un filtre spatial qui, par absorption relative, révèle l'oeuvre dans ses formes-couleurs.

A travers ces diverses dimensions de la lumière, qui concourent à concrétiser l'oeuvre, on peut, sans abus de language, parler d'une lumière devenue hyper-lumière dans le processus de création.

Troisième partie :

Pour une Chromatique Numérique

GÉNÉRALITÉS

Au sens d'une science de l'art telle que l'a définie et soutenue François Molnar (19), on voudrait poser les bases d'un corpus de connaissances relatives aux réponses esthétiques à une excitation multichromatique dans l'espace et/ou le temps.

C'est bien l'ordinateur qui impose ses possibilités dans ce genre d'étude.

Certes les logiciels disponibles dans le commerce et en partie dédiés à la couleur proposent des espaces chromatiques souvent infondés sur un plan psycho-physique (18), ce qui est fort regrettable ; ils désignent cependant les lumières colorées par un triplet numérique, certes arbitraire, mais qui permet au moins de les reconstituer à l'identique (si le réglage de l'ordinateur n'a pas été modifié...) et donc de garder mémoire d'une expérience visuelle et donc de la reproduire.
On voudrait ainsi pouvoir progressivement répondre à des questions du type suivant :

-Que se passe-t-il mentalement à la vue d'un monochrome de Klein?

-Que se passe-t-il mentalement à la vue d'un monochrome (au sens des monochromes de Klein)?

-Que se passe-t-il mentalement à la vue d'un "polychrome"? -Peut-on prévoir l'impact d'un "polychrome" précis"? -Peut-on prévoir l'impact d'un "polychrome" non encore réalisé mais parfaitement décrit au sens de la colorimétrie?

Artefacts visuels d'étude

La première étape de cette recherche psycho-chromatique semble être de suivre une démarche déductive qui prendra sa source dans des artefacts visuels à constituer. Ces derniers semblent devoir obéir à deux contraintes fondamentales :

La première est qu'ils soient essentiellement construits sur la couleur.

La seconde est qu'ils soient le moins possible plongés dans "l'espace de la figure" qui agit par renvoi et ainsi par détournement.

Ces conditions imposent un certain nombre de corollaires :

-Rendre la forme, évocatrice de la figure, la moins informative possible. -Eliminer toute suggestion de perspective, d'éclairage, d'échelle.
-Eliminer au mieux tout identificateur de structures formelles, tel qu' élément de symétrie, ligne principale, repère de périodicité spatiale.
-Tenir soigneusement compte de la qualité de la lumière qui est en dernière instance l'interface irremplaçable de la lecture par l'oeil.

On peut alors imaginer que la quasi-totalité de la "production picturale" ne peut fournir ces artefacts visuels, non plus d'ailleurs qu'une très grande partie de l'imagerie scientifique et qu' ainsi une science de la couleur, au sens où nous pourrions l'entendre, est une science sinon sans objet du moins sans matériel expérimental ou presque (20).

Aléatoires Numériques

On propose alors de reprendre sur ordinateur des recherches menées antérieurement en réflexion (peintures) sous le nom d'Aléatoires. Il s'agit de bandes verticales (aplats colorés choisis aléatoirement), de largeur constante, régulièrement juxtaposées, formant un pavage polychrome de dimension 1 (voir la figure 2)

Une telle structure est très facilement programmable et elle obéit d' assez près aux deux contraintes (et à leurs 4 corollaires) imposées ci-dessus. Elle permet de travailler sur des "images" fixes ou sur des "images" chromatiquement évolutives par simple changement de la valeur des aplats colorés ( ou plutôt par changement de la valeur des énergies électroniques afférentes à chaque luminophore).

Notions premières

Une réponse esthétique semble au moins directement liée à la capacité de choix développée sur un ensemble de polychromes (proposés en vision simultanée ou successive) qui désignera un polychrome précis ou au moins un classement par ordre de préférence.

Elle peut également s'exercer dans l'examen d'un polychrome unique par référence à un corpus-mémoire (ensemble d'images retenues antérieurement comme satisfaisantes).

Une chromatique picturale semble alors devoir se fonder sur deux notions premières :

L'équivalence/différence globale
La variation différentielle unitaire.

La première met en oeuvre deux polychromes jugés initialement équivalents (ce qui ne signifie pas nécessairement identiques) : on injecte sur l'un des deux des modifications aléatoires jusqu'à atteindre le seuil de juste discernabilité.

La seconde met en oeuvre deux polychromes identiques et injecte, sur l'un des éléments de l'un des deux, des variations progressives jusqu'à atteindre, encore une fois, le seuil de juste discernabilité.

CARACTÉRISATION du POLYCHROME

Les polychromes d'étude, construits aléatoirement, présentent (ou non) une gestalt, à savoir ici une "forme chromatique", plus ou moins facilement perceptible ( ce qui repose sans cesse la question de la "forme du hasard") et donc prégnante quand il s'agira de choisir ( ou plutôt de justifier un choix). Cette forme risque d'être associée, puisque la couleur est lumière et donc énergie, à une "forme énergétique". Ce dernier concept ne sera pas développé ici.

Formes spatiales des polychromes.

Nous ferons une analogie entre le domaine des sons et celui des lumières colorées à travers le principe de trivariance (21). La figure 3 peut servir de guide.

Si on pose une correspondance énergétique entre luminance lumineuse et intensité sonore, une correspondance vibratoire entre longueur d'onde dominante et fréquence sonore (22) et finalement une correspondance entre axes de développement des formes (axe des x du polychrome et axe du temps de l'objet sonore), on est en mesure de faire apparaître trois plans de représentation privilégiés : celui du "chromagramme" (par analogie avec le sonagramme de l'acoustique musicale) qui donne la distribution en longueur d'onde suivant l'axe des x (voir figure 4), le "L-gramme" (voir figure 5) qui donne l'évolution de la luminance lumineuse suivant le même axe et, finalement, la distribution de l'intensité lumineuse de chaque longueur d'onde à une abscisse x spécifiée (qui s'identifie au spectre).

De façon générale on pourrait grossièrement identifier ce spectre à une courbe de type passe-bande qui aurait, à son sommet, la longueur d'onde dominante pour abscisse (figure 6). Moins grand est l'étalement horizontal de cette courbe
(voir figure 7a), meilleure est la définition de la teinte (sélectivité du filtre) et donc plus grande est la pureté associée.

On pourrait, en suivant ce modèle, établir une pureté suivant la formule :

p=1- (D l / D l 0)

avec D l : bande passante du filtre en longueur d'onde

et D l 0 : bande passante du visible (soit 400 nm-780nm).
Avec cette définition on retrouve bien une pureté de 100% pour un
D l = 0

Dans la pratique ce modèle est difficilement applicable et devient rigoureusement faux pour les pourpres qui obéissent plutôt à une distribution de type coupe-bande (voir figure 7b) sans longueur d'onde dominante réelle. Il faut ainsi en toute rigueur abandonner ce "modèle pédagogique" et travailler sur la mesure de la pureté colorimétrique. On obtient alors un P-gramme (figure 8) qui exprime en pourcentage la distribution de la pureté de chaque bande colorée suivant l'axe des x .

Nous appellerons formes du polychrome les structures que l'on pourra éventuellement extraire(grâce à des méthodes d'analyse morphologique d'image) du chromagramme et/ou du L-gramme et/ou du P-gramme.

PROPOSITIONS d'EXPÉRIMENTATION SPATIALE

On admettra dans la suite que les polychromes-tests sont des Aléatoires visualisés sur l'écran d'un ordinateur, donc des polychromes à une dimension. La valeur chromatique d'un aplat coloré situé à l'abscisse x est désigné par Cx. On examinera quelques exemples de propositions de protocoles d'expérimentation chromatique.

Luminances aléatoires / longueurs d'onde dominantes aléatoires .

A-On s'intéresse d'abord aux expériences portant sur les équivalences/différences appliquées sur un ensemble de polychromes-tests

1-On travaille d'abord en mode statique : l'oeil compare, en simultané, deux polychromes-tests initialement identiques P1 et P2

11- expériences portant sur les valeurs des Cx

On pourra procéder par modifications aléatoires ou par anachromose (23).

Dans le premier cas un certain nombre de Cx relatifs à P2 sont aléatoirement modifiés jusqu'à la perception d'une différence avec P1.

Dans le second cas un certain nombre de Cx relatifs à P2 sont modifiés par anachromose jusqu'à la perception d'une différence avec P1.

12- expériences portant sur les abscisses des Cx

On pourra procéder par modifications aléatoires ou par opération de symétrie.

Dans le premier cas un certain nombre de Cx relatifs à P2 voient leur abscisse modifiée par permutation aléatoire jusqu'à la perception d'une différence avec P1.

Dans le second cas un certain nombre de Cx relatifs à P2 voient leur abscisse modifiée par permutation suivant une symétrie centrale jusqu'à la perception d'une différence avec P1.

2-On travaille ensuite en mode dynamique : l'oeil compare successivement deux polychromes-tests initialement identiques P1 et P2.

On reprend toutes les expériences précédentes.

B-On s'intéresse ensuite aux expériences portant sur les variations différentielles appliquées sur une unité Cx d'un polychrome-test.

1-On travaille d'abord en mode statique : l'oeil compare, en simultané, deux polychromes-tests initialement identiques P1 et P2. L'un des Cx de P2, choisi aléatoirement, enregistre une variation progressive jusqu'à la perception d'une différence avec P1. La variation peut avoir lieu soit sur la valeur de teinte, soit sur la valeur de pureté , soit sur la valeur de luminance (pour autant que ces caractéristiques soient effectivement dissociables).

2-On travaille ensuite en mode dynamique : on reprend l'étude ci-dessus (A-2)

Luminances constantes / longueurs d'onde dominantes aléatoires .

Pour, dans un premier temps, dissocier luminance et couleur on propose de reprendre les expériences ci-dessus avec des artefacts dont tous les Cx seront de même luminance.

Luminances aléatoires / longueurs d'onde dominantes constantes .

Pour, dans un second temps, dissocier luminance et couleur on propose de reprendre les expériences ci-dessus avec des artefacts dont tous les Cx sont de même teinte, donc avec des monochromes modulés en luminance.

Voici donc quelques exemples de propositions qui ont pour seul but de tester les capacités de discrimination de l'oeil. Si on admet qu' une réponse esthétique semble au moins directement liée à la capacité de choix, ces facultés discriminantes contiennent bien les bases d'une attitude esthétique construite.

FORMES CHROMATIQUES TEMPORELLES

La question a été évoquée ci-dessus par le distinguo énoncé entre mode statique et mode dynamique, mais on peut vouloir aller plus loin.
-Que peut-on dire, donc, de la succession de plusieurs images ?

-Que peut-on dire d'une "image" unique en mutation?

-Peut-on envisager le concept de formes chromatiques temporelles ?

La première question, qui semble faire directement référence au cinéma, met en jeu la notion d'épaisseur du présent. On rappelle que deux événements successifs sont perçus comme non dissociés s'ils sont temporellement distants de moins d'un dixième de seconde : ceci permet l'illusion de la continuité, au cinéma, avec des écarts de l'ordre d' un vingt-cinquième de seconde entre deux images successives. On peut donc vouloir se situer à l'intérieur ou à l'extérieur de l'épaisseur du présent.
La première hypothèse qui concerne donc bien le cinéma ne sera pas ici examinée car elle implique des productions dominées par la simulation du mouvement le plus souvent limité à une simulation du monde visible et on sait, depuis un siècle, combien sont restrictifs ces postulats de création face au champ des possibles permis par la technique cinématographique (on peut se reporter, parmi d'autres, aux créations de Len Lye ou de Mac Laren ou de Hans Richter ou de Walter Ruttmann ou de Viking Eggeling ...). Le cinéma s'est laissé enfermer, pour le grand malheur des "arts plastiques du temps", dans le piège de l'image de la réalité la plus triviale (24).
La seconde hypothèse implique la discontinuité inter-images et peut sembler aussi riche de possibilités créatrices. Il faut alors définir la durée de vision des images et la durée de passage d'une image à une autre (D t). Ensuite il faut définir le mode de passage d'une image à une autre : on peut procéder par juxtaposition temporelle immédiate (ici D t est très voisin de zéro) ou par un processus de type "fade-out/ fade-in" sur une durée D t à définir.

La seconde question concerne, non plus une succession d'images différentes, mais l'occupation d'une fenêtre numérique par un programme graphique éventuellement bouclé sur lui-même. Ce sont les définitions colorimétriques des pixels de certaines zones du plan qui sont sans cesse modifiées, ce qui induit à la fois une évolution globale de la surface en termes de formes et de couleurs et l'illusion d'une succession d'images à la différence près qu'il ne s'agit plus ici d'images (au sens où une image aurait un référent dans l'espace de la réalité ce qui la conduirait à porter du sens...donc à devenir impropre à l'expérimentation).

La troisième question trouve son analogue dans le domaine sonore avec l'existence des formes musicales ( si ces dernières ont surtout été pratiquées en terme de hauteur on peut aussi les envisager au niveau des intensités ou des timbres : pour ce dernier on gardera mémoire de la Klangfarbenmelodie "mélodie de couleurs de timbres" de Arnold Schönberg).

Il est nécessaire, pour éventuellement les découvrir, d'en préciser la définition!
On appellera formes chromatiques temporelles la perception, par mémorisation à court terme, de structures stables, donc périodiques, ou évolutives suivant une loi simple, qui seront induites par la couleur.

Ici, à nouveau, se pose la question des artefacts d'étude, donc celle de la définition des formes comprises comme frontières de la couleur sur le plan d'affichage et celle de l'inventaire des fonctions temporelles qui définissent la couleur. D'après les rappels donnés au début de cet article on doit considérer les trois fonctions :

L=f(t, x) qui donne l'évolution de la luminance lumineuse en fonction du temps en chaque point de l'espace ;
P=g(t, x) qui donne l'évolution de la pureté colorimétrique en fonction du temps en chaque point de l'espace ;
l d=h(t, x) qui donne l"évolution de la longueur d'onde dominante en fonction du temps en chaque point de l'espace.

Pour ce qui concerne les formes on peut proposer trois niveaux de complexité.

Premier niveau : la surface totale est un monochrome. Dans ce cas seules les modulations chromatiques apparaissent et le travail d'interprétation est réduit au plus simple.

Second niveau : la surface est séparée en deux par un trait horizontal ou constituée d'un carré dans un carré. Ici les variations chromatiques sont duales (à chaque instant, six valeurs de paramètres sont demandées).

Troisième niveau : c'est à nouveau celui du polychrome, le plus complexe à soumettre à l'expérience...

Conclusion

Les quelques réflexions ci-dessus peuvent jeter un éclairage sur les dimensions de cette recherche consacrée à la perception esthétique de la lumière-couleur dans le but de développer la création.

On en est ici à de simples prémisses... J'ignore si cette problématique un peu lourde est dans l'air du temps ( j'en doute fort a priori)... Notre appétit pour les "images en couleurs" ne présume en rien de notre sensibilité à la couleur mais bien plutôt de notre appétit redondant pour les objets du monde auxquels renvoient ces images : nous n'avons guère, à mon sens, progressé depuis le premier quart du dernier siècle et les travaux des grands constructivistes sont toujours, dans leur esprit, d'actualité. Le computer permettra-t-il le développement d'une chromatique numérique?

Les "choses" du monde sont sans couleur

La couleur est création de la vision

La couleur est fille de lumière

Hyper-lumière ?

notes

(1)- J.W.Goethe Le traité des couleurs- -triades-1973-première édition française.

(2)- Pierre Léna/Alain Blanchard Lumières : une introduction aux phénomènes optiques InterEditions -Paris- 1990

(3)- Ludwig Wittgenstein Remarques sur les couleurs (vers 1950) -T.E.R. bilingue-1983

(4)- Bernard Caillaud Couleur et Aléatoire- Paradigme-Caen-1988

(5)- P.J.Bouma Les couleurs et leur perception visuelle-Dunod-1949-première édition

(6)-Paul KowaliskiVision et mesure de la couleur -Masson-1978-première édition

(7)-Yves Legrand Optique physiologique- -Masson-1972-deuxième édition

(8)-Robert Sève Physique de la couleur ; de l'apparence colorée à la technique colorimétrique- -Masson-1996.

(9)-Alain Chrisment Couleur et colorimétrie - Ed. 3C Conseil -19 rue des Balkan- Paris

(10)-A.Fournier Colorimétrie- Editions de l'institut textile de France-1977

(11)- Alain Pelat

Une introduction : vision, photométrie, colorimétrie-Ellipses-Edition marketing-1988

Compléments de colorimétrie et illusions géométriques-Ellipses-Edition marketing-1989

(12)- Dominique Legrand La couleur imprimée : mode d'emploi -Edition : trait d'union graphique-1990

(13)- voir le site : <http://www.colorsystem.com/projekte/fr>

(14)- Il repose sur l'hypothèse suivant laquelle on obtient un cercle quand on joint les deux extrémités d'un segment ( la " droite spectrale") ; ceci n'est déjà pas simple et implique sournoisement que toutes les couleurs situées sur ce cercle doivent posséder une même propriété puisqu'elles sont à égale distance du centre... Propriété dont on ne se soucie plus guère par la suite, ce qui peut expliquer que l'on ait peu de sensibilité à la pureté des couleurs. Il faudrait ensuite ajouter que la fermeture de la ligne initiale est censée donner un contour situé dans un plan, ce qui est une hypothèse encore plus réductrice puisqu' on évince de ce fait le caractère de luminosité de la couleur. Grâce au cercle chromatique, on réduit ainsi la trivariance visuelle à une seule variable : la tonalité... et encore n'a-t-on pas évoqué le problème de la distance entre deux teintes sur le cercle !

(15)-G.T.Fechner Éléments de psycho-physique - 1860.

(16)- Michel Albert-Vanel Le planètes-couleur-système - ENSAD-Paris-1983

(17)- On ne peut, pratiquement, prétendre attribuer une longueur d'onde précise à une nuance colorée spécifiée: des longueurs d'onde voisines induisent la même perception colorée. Il faudrait à ce propos reprendre la courbe des seuils de discernabilité le long du spectre.

(18)-Bernard Caillaud Couleur numérique et couleur psycho-physique: remarques d'un plasticien. -Le micro-bulletin -CNRS n° 53-1994

(19)- " C'est la science de l'art qui devrait établir les bases solides d'une pratique artistique aussi bien qu'une critique objective. En effet la science moderne possède déjà beaucoup d'éléments précis qui permettent d'établir cette base. La neuro-physiologie a percé définitivement le mystère de la forme, notion complexe, pont entre la science et l'art qui préoccupe les penseurs depuis des millénaires. On connaît aussi le mécanisme de la perception de la couleur, et la psychologie est en train de clarifier la relation entre l'affectivité et l'esthétique...Mais cela reste insuffisant. Toutes les réponses affectives ne sont pas esthétiques. C'est la science de l'art qui s'efforce de découvrir la fonction qui relie la réponse affective à la stimulation physique " (préface à l'ouvrage cité en note 4).

(20)- Il faut cependant ici citer à nouveau le travail d'Yves Klein (et peut-être celui de son lointain prédécesseur Rodtchenko avec en 1921 ses trois oeuvres intitulées respectivement : couleur rouge pure, couleur bleue pure, couleur jaune pure) tel qu'il apparaît en 1957 à la Galerie Apollinaire de Milan : "cette exposition était composée d'une dizaine de tableaux bleu outremer foncé, tous rigoureusement semblables en ton, valeur, proportions et dimensions" et l'artiste ajoute, dans son journal, la même année : "A la conférence-discussion de l'I.C.A. de Londres, un homme s'est levé et furieux s'est écrié : "Tout ceci est une gigantesque plaisanterie, que penser en effet d'une symphonie à une seule note continue?"".

Quelques années plus tard, La Monte Young (1962) formule le concept de "dream house" qui se matérialisera par le disque du même nom publié en 1973. En présentation, Daniel Caux écrit : " Un son. Un son de hauteur constante donné à entendre sur une longue étendue de temps et dont la durée virtuelle ne vise à rien d'autre qu' à l'éternité".

(21)-Il n'est pas question ici d'une quelconque assimilation aventureuse et brillante entre sons et couleurs .

(22)- Le physicien méticuleux trouvera ce rapprochement un peu rapide puisque la longueur d' onde caractérise la propagation d'une information dans l'espace alors que la fréquence caractérise la vibration de la source émettrice de cette information.

(23)- dérive progressive et continue de l'équilibre chromatique d'une image.

(24)- "Un vrai film ne doit pas pouvoir se raconter puisqu'il doit puiser son principe actif et émotif dans des images faites d'uniques vibrations visuelles". Germaine Dulac : Films visuels et anti-visuels -
Le Rouge et le Noir-Paris. Juillet 1928.